Tarifs pour la téléphonie mobile: les fossiles de la libéralisation
Le téléphone mobile est passé, en quelques années seulement, du stade d’un objet réservé à une élite à un objet de consommation courant. Parallèlement, les conversations à partir des téléphones mobiles ainsi qu’à partir du réseau fixe en direction des téléphones mobiles se sont multipliées tant dans leur nombre que dans leur durée. Dans le même temps, les tarifs nationaux et internationaux ont baissé massivement pour les utilisateurs du réseau fixe...
A contrario, les tarifs mobiles ont à peine baissé, de même que les prix pour les appels du réseau fixe en direction des réseaux mobiles. Et si on veut également proposer pour ce type de communication des prix raisonnables, l’opérateur doit détourner l’appel via un autre pays. Avez-vous également l’impression que quelque chose cloche en Suisse ?
La construction d'un réseau mobile est massivement meilleur marché que la construction d'un réseau câblé (réseau fixe). Dès lors, le prix de revient pour une minute « mobile » ne devrait pas être bien supérieur au prix d’une minute sur le réseau fixe. sunrise propose à ses clients 5 centimes par minute de communication en provenance d’un autre réseau que le sien. Sympa, en effet, mais sunrise gagne tellement sur ses tarifs d’interconnexion qu’il peut se permettre d’en redistribuer une petite part à ses clients…
Les trois fournisseurs mobiles proposent à leur clientèle des abonnements avec lesquels le coût par minute pour les communications à destination du réseau fixe – ou du même réseau mobile - se situe dans une fourchette de 15 à 30 ct/min.On exige d‘un opérateur alternatif - uniquement pour la distance mobile-plate-forme du fournisseur ! - un coût d‘interconnexion de 54ct/min. (voir note 1). En outre, ces appels doivent avoir pour destination une destination étrangère! Plus fort encore : la même conversation effectuée dans le sens inverse (fixe / mobile) ne coûte « que » 41 ct/min (2). Ce désordre tarifaire fait que les communications au départ des mobiles sont privilégiées et que les clients du réseau fixe se font saigner à blanc. Les prix d’interconnexion sont massivement trop élevés et ne correspondent pas à des coûts réels, excluant ainsi toute concurrence de la part des autres opérateurs.
L'un des arguments importants pour la libéralisation du marché des télécommunications était son importance économique. Mais la libéralisation si volontiers affirmée par « serment de marché » n’a pas fait son entrée dans le monde de la télécommunication mobile. Le monopole a été remplacé par un oligopole et trois opérateurs peuvent exiger les tarifs prohibitifs pour la terminaison des communications sur leur propre réseau sans que personne n’intervienne, que ce soit le régulateur (l’Ofcom, la Comcom) ou Monsieur Prix. La concurrence signifie « prendre des parts de marché à un concurrent ». Dans la téléphonie mobile, cette « concurrence » signifie jusqu‘à présent « se répartir le marché toujours grandissant entre trois opérateurs ». Même l'UE commence à s’inquiéter des tarifs excessifs du roaming et de ces coûts d’interconnexion incroyablement élevés. Par exemple, le régulateur a divisé en deux les coûts d’interconnexion en Autriche.
Quelles sont les solutions possibles ?
Supprimer l'obligation de la transmission du CLI
Pour que le CLI (numéro d’identification de l’appelant) soit transmis à coup sûr, la communication doit être dirigée directement sur l’interconnexion avec sunrise, Orange ou Swisscom. Pour éviter de payer des tarifs élevés d‘interconnexion (cf. la note 2), la conversation doit être dirigée à l'étranger, puis revenir en Suisse sous forme d‘appel de l‘étranger. Malheureusement, ce procédé fait que le CLI se perd parfois en cours de route.
Le destinataire du réseau mobile est certes content de voir le numéro de l’appelant, mais est-ce une raison suffisante pour que l’appelant doive payer un tarif massivement trop élevé ? Les fournisseurs devraient avoir le droit de proposer plusieurs tarifs « mobile », dont un respecterait la transmission du CLI. Cette obligation de la transmission du CLI en direction du réseau mobile n’a d’ailleurs pas de sens puisque Swisscom lui-même n’est pas obligé de le transmettre en direction des bons vieux appareils analogiques (3).
Tarifs d’interconnexion basés sur les coûts réels
Si l’OfCom justifie l‘obligation de transmission du CLI par l‘argument selon lequel les appels vers les téléphones mobiles sont des communications nationales, ce même argument devrait être tout aussi valide pour obtenir des tarifs d‘interconnexion basés sur les coûts réels. (4).
Prise en compte de la téléphonie mobile dans le « service universel en matière de télécommunications »
Pour les consommatrices et consommateurs le portable relève autant du “service universel” que le téléphone à domicile, les cabines téléphoniques ou l’eau courante. D‘un point de vue psychologique, le téléphone portable procure un plus grand sentiment de sécurité qu’un appareil fixe à domicile. De plus, le nombre de téléphones mobiles en circulation dépasse le nombre de raccordements fixes... Dès lors, la téléphonie mobile devait être intégrée au service universel (5). Cela aurait pour conséquence de devoir calculer les tarifs d‘interconnexion sur la base des coûts effectifs et de devoir proposer aussi des communications call by call ou en présélection. C’est en définitive la seule façon de briser l’oligopole instauré par les opérateurs mobiles. Une alternative partiellement satisfaisante serait une obligation de „prestation de service“ liée à la licence, comme en Allemagne par exemple, où l‘opérateur bon marché Debitel, récemment acheté par Swisscom, ne possède pas de réseau propre mais utilise les réseaux d‘autres opérateurs en tant que revendeur ou „prestataire de service“.
Prolongation de la durée de licence
La construction d'un réseau mobile est plus avantageuse que celle d’un réseau fixe câblé. Elle doit cependant être amortie pendant la durée de la licence, c’est-à-dire 10 ans. Une prolongation de la durée des licences de 5 ou 10 ans réduirait massivement la pression sur les coûts et profiterait aux consommateurs. La réduction des rentrées de l‘Etat serait plus que compensée par l‘importance du volume de la communication mobile, même en Suisse.
Conclusion
Une chose est absolument certaine : les opérateurs de la téléphonie mobile ne baisseront pas d’eux-mêmes les tarifs pour l’utilisateur final, pas plus que pour l’interconnexion. Il en va de même pour le régulateur (OfCom, ComCom et/ou la Commission de la Concurrence).
La voie à suivre est donc claire : seuls les consommateurs et leurs fédérations ou associations peuvent s’unir pour faire bouger les choses. Et la pose de la première pierre de ce mouvement vous incombe : postez votre opinion et vos suggestions à ce sujet dans le forum « mobile » d’Allo.ch.
C’est en fonction de vos messages qu’allo.ch s’engagera à prendre contact avec les différents organismes afin de leur faire partager vos préoccupations.
Paul Hornisberger
Directeur
RedTelecom AG
Biel / Bienne
Notes :
1. A partir du réseau Swisscom mobile : 53.95 ct/minute en tarif normal + taxe de Setup de 9.15 ct, et les tarifs pour Orange et sunrise sont encore plus hauts (Swisscom Standard Offer Price Manual Version 5.2 du 6-2-2001)
2. Fixe en direction de Swisscom mobiles : 41.44 ct/minute en tarif normal + taxe de Setup de 7.05 ct, et les tarifs pour Orange et surnise sont plus hauts encore (Swisscom Standard Offer Price Manual Version 5.2 du 6-2-2001). Cela donne un prix de vente entre 50 et 60 ct par minute. C'est le prix que l’on doit payer pour des conversations dans bien des pays du tiers-monde et ceux-ci doivent financer la construction de leur réseau de téléphonie...
3. Le CLI est transmis selon le protocole analogique international entre la première et la seconde sonnerie. En service depuis des années aux USA et depuis 2 ou 3 ans dans la plupart des pays européens
4. Article 17.2 de la LTC „Le conseil fédéral aspire à établir des tarifs indépendants de la distance. Il fixe périodiquement les limites supérieures de prix pour le service universel. Ces limites supérieures valent de façon homogène pour toute la branche et s‘orientent selon le développement du marché.“
5. Article 16.3 de la LTC „Le conseil fédéral adapte périodiquement le service universeil aux besoins économiques et sociaux et à l‘état de la technique.“ Par ailleurs, le projet du nouveau règlement du service universel devant entrer en vigueur en 2003 est à présent en examen.
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